Par Julie Amadis
Le 27/01/16
la France est même l'un des pays
les plus inégalitaires de l'OCDE,
après la Slovaquie et la Hongrie »
« Mettre l'école sous le signe de la compétitivité,
c'est inciter à la corruption,
qui est la morale des affaires ». Raoul Vaneigem
Le Canard Enchaîné rappelle que l'école française ne traite pas bien les enfants de pauvres et d'immigrés.
Mercredi 20 janvier, le Canard Enchaîné titrait
« Élèves pauvres et enfants d'immigrés à mauvaise école ».
L'école française est championne des inégalités.
Le Canard Enchaîné poursuivait :
« Principale critique de l'OCDE et récurrente depuis plusieurs années : la faible réduction des inégalités éducatives. Dans aucun autre pays l'échec scolaire n'est à ce point lié à l'origine sociale des élèves. »
L’ÉCOLE FRANÇAISE ET SES PIÈTRES RÉSULTATS PISA
Mais la France est aussi championne des mauvaises performances de ses élèves.
« En
2012, la France a perdu 22 points en ce qui concerne la culture
mathématique depuis 2000. (chiffres tirés du groupe ALPHA centre d'étude
et prospective)La
"performance" des élèves français en mathématiques a diminué de 16
points entre 2003 (511) et 2012 (495), ce qui en neuf ans fait passer la
France des pays dont la performance est supérieure à la moyenne de
l'OCDE aux pays dont la performance est dans la moyenne de l'OCDE (494
dans l'étude 2012). (Sciences et avenir) publié le 03/12/2013 La France parmi les mauvais élèves de l'enquête PISA 2012 S'agissant
de la compréhension de l'écrit, les résultats de la France sont
meilleurs (505 points contre 496 dans Pisa 2009), au-dessus de la
moyenne des pays de l'OCDE (496), une amélioration observée depuis 2009
après un recul sensible dans les études 2003 et 2006.En sciences,
le niveau de la France reste stable depuis 2006 avec 499 points (contre
501 en moyenne dans les pays de l'OCDE et 498 points dans Pisa 2009). (Sciences et avenir) publié le 03/12/2013 La France parmi les mauvais élèves de l'enquête PISA 2012
Ces
mauvais résultats globaux ne sont pas très étonnants. Quand on délaisse
une partie des élèves, ce sont tous les élèves qui en pâtissent. C'est
l'analyse de Christian Baudelot et Roger Establet.
Les inégalités s'aggravent d'année en année.
« C'est
en France que l'on observe l'un des plus grands écarts au sein de
l'OCDE entre les 10 % d'élèves les meilleurs et les 10 %
les moins performants. Et
le fossé entre le groupe des meilleurs et celui des moins forts s'est
creusé de 34 points entre 2003 et 2012, alors qu'il s'est réduit de
3 points en moyenne dans l'OCDE, de 20 points en Pologne, et même de
45 points en Allemagne ! » Alternative économique Éducation : ce qu'il faut retenir de PISA 2012, Laurent Jeanneau, 13/12/2013
Les plus performants sont les plus riches et les moins bons les plus pauvres.
« Autre
spécificité française, l'origine sociale pèse lourdement sur les
résultats scolaires : 22,5 % des résultats des élèves français en
mathématiques s'expliquent par l'influence du milieu social, contre 15 %
en moyenne au sein de l'OCDE. De ce point de vue, la France est même l'un des pays les plus inégalitaires de l'OCDE,
après la Slovaquie et la Hongrie » Alternative économique Éducation :
ce qu'il faut retenir de PISA 2012, Laurent Jeanneau, 13/12/2013
Ce
qui veut donc dire que tout est mis en œuvre pour favoriser la
reproduction sociale et écraser le potentiel des enfants de pauvres.
La France est aussi en haut du palmarès des élèves anxieux.
LES ÉLÈVES FRANÇAIS SONT ANXIEUX
Le rapport PISA révèle que les enfants français se sentent « mal à l'école »
(L'élitisme Républicain Baudelot et Establet).
Christian
Baudelot et Roger Establet ont analysé le rapport PISA 2006 et en
concluent que « les élèves français sont deux fois moins
nombreux que les autres pays de l'OCDE à « se sentir chez eux
à l'école ».
Les élèves issus de milieux défavorisés
sont parmi les plus anxieux.
Stanislas Dehaene, professeur et
chercheur en psychologie cognitive analyse le rapport PISA 2012 et
écrit :
« En France, les élèves issus d’un milieu
socio‐économique défavorisés n’obtiennent pas seulement des
résultats nettement inférieurs, ils sont aussi moins impliqués,
attachés à leur école, persévérants, et beaucoup plus anxieux
par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. »
POURQUOI LA FRANCE EST - ELLE CHAMPIONNE DES INÉGALITÉS ?
L'OBJECTIF PREMIER EST DE REPRODUIRE LES CLASSES SOCIALES
L'objectif est de reproduire des
classes sociales spoliatrices.
Ces classes sont la Formoisie (bourgeoisie des diplômes) et la Bourgeoisie.
Ce sont elles qui ont le pouvoir... Ce sont elles qui décident des orientations de l'école, ce sont elles qui enseignent.
Comme
le souligne Pierre Bourdieu, les enseignants formois par définition et
issus dans leur majorité de la classe formoise sont persuadés du bien
fondé du système et le perpétuent.
"Produits
d'un système voué à transmettre une culture aristocratique dans son
contenu et dans son esprit, les enseignants sont enclins à en épouser
les valeurs avec d'autant plus d'ardeur peut-être qu'ils lui doivent
plus complètement leur réussite universitaire et sociale. En outre,
comment n'engageraient-ils pas, même et surtout à leur insu, les valeurs
de leur milieu d'origine ou d'appartenance dans leurs manières de juger
et dans leurs façons d'enseigner ? "(P.Bourdieu L'Ecole conservatrice. Les inégalités devant l'école et devant la culture, Revue française de Sociologie, 1966)
L’ÉCOLE FAVORISE LES CODES SOCIAUX DES CLASSES DOMINANTES
Alors comme le disait Bourdieu, les codes de l'école sont les codes des classes dominantes.
(...)
la tradition pédagogique ne s'adresse en fait, sous les dehors
irréprochables de l'égalité et de l'universalité, qu'à des élèves ou des
étudiants qui sont dans le cas particulier de détenir un héritage
culturel conforme aux exigences culturelles de l'école. Non seulement
elle exclut l'interrogation sur les moyens les plus efficaces de
transmettre complètement à tous les savoirs et le savoir-faire qu'elle
exige de tous et que les différentes classes sociales ne transmettent
que très inégalement, mais encore elle tend à dévaloriser comme «
primaires au double sens de primitives et de vulgaires) et,
paradoxalement, comme «scolaires les actions pédagogiques tournées vers
de telles fins. Ce qui n'est pas un hasard si l'enseignement primaire
supérieur qui, lorsqu'il était en concurrence avec le lycée classique,
dépaysait moins les enfants originaires des classes populaires,
s'attirait le mépris de précisément parce qu'il était plis explicitement
et plus méthodiquement scolaire ». (P.Bourdieu L'Ecole conservatrice. Les inégalités devant l'école et devant la culture, Revue française de Sociologie, 1966)
Ceux
qui réussissent ne sont pas les plus intelligents, mais ceux qui
connaissent les codes. Donc, ce sont les enfants issus des classes
dominantes.
LES PARENTS DE MILIEUX DÉFAVORISES SONT DISTANTS PAR RAPPORT A L’ÉCOLE QUI LES EXCLUT ET EXCLUT LEURS ENFANTS
Le
rôle de reproduction sociale de l'école est de moins en moins
facilement dissimulable. Les parents des milieux défavorisés l'ont
compris et/ou le ressentent. Ils se montrent ainsi distants vis à vis de
cette institution.
Très récemment, Christian Laval,
Francis Vergne, Pierre Clément et Guy Dreux ont écrit « La nouvelle
école capitaliste ». Ils expliquent comment l'école s'est marchandisée
et libéralisée. Cet état de fait a aggravé les inégalités et exclu les
classes populaires du savoir. L'école pour eux est synonyme d'exclusion.
Ils s'en méfient donc et s'en éloignent.
Les auteurs du livre écrivent :
«
La plupart des conduites d'évitement de la part des parents ne sont pas
difficiles à déchiffrer. Elles témoignent de la hantise d'un contexte
social qui pénaliserait leurs enfants, de la peur des mauvaises
influences qui risqueraient d'exercer des élèves peu aptes, voire
hostiles, au travail scolaire dans les écoles populaires quand elles
sont le « réceptacle des problèmes sociaux du quartier ».
DEUXIÈME OBJECTIF : TRANSFORMER LES ENFANTS
NATURELLEMENT INNOVANTS EN RÉPÉTANTS DOCILES
S'ajoute
à cette lutte de classes pour une école reproductrice de classes
spoliatrices, une lutte de strates des adultes Répétants envers des
enfants Innovants.
Les enfants sont des Innovants.
" TOUS LES ENFANTS sont membres de la strate des Innovants.
Tous les enfants sont des Innovants découvreurs
Tous les enfants sont des Innovants inventeurs.
Tous les enfants sont des Innovants créateurs.
Le savoir plus la bonne foi produit de la gentillesse.
Cette découverte est un des socles de la science psychologique à construire.
Mais les mêmes ingrédients font que les enfants sont tous des
REdécouvreurs conceptualisateurs, tous de RE-inventeurs et tous de
CREATEURS artistiques." (Revactu Yanick Toutain)
Mais ce caractère innovant des enfants n'est absolument pas respecté. Pire. Il est détruit.
Au fur et à mesure que les enfants grandissent, leur potentiel créatif et innovant s'étiole pour finir par disparaître.
A
la place, née peu à peu un individu obéissant à des normes sociales qui
n'ont pas de fondement logique. Un individu, qui, à force d'obéir, de
recevoir des ordres, de recevoir des violences verbales et parfois
physiques aussi, perd toute envie de créer, d'explorer et de découvrir.
Le voilà bien prêt à entrer dans le monde des adultes "moutons",
"pathologistes consuméristes" et Répétants.
En même temps que ses capacités créatives se détruisent, ses capacités d'empathie et de solidarité s'abîment.
Apprendre
à "obéir" à une autorité juste parce que la personne à un statut
hiérarchique élevé construit des individus capables d'aller jusqu'à
tuer... Tuer, juste parce que une autorité légitimée par une organisation
sociétale le leur a demandé.
Les
expériences psychologiques organisées par Stanley Milgram
entre 1960 et 1963 prouvent que face à une autorité la très grande
majorité des Etasuniens envoyaient des décharges électriques tellement
importantes qu'elles auraient pu tuer le cobaye comédien.
Cette expérience a été racontée dans le film d'Henri Verneuil "Comme Icare". La vidéo ci- dessous en est un extrait.
COMMENT FAIT L'ÉCOLE FRANÇAISE POUR EMPÊCHER
LES ENFANTS DE PAUVRES DE RÉUSSIR ?
Pour
que le diplômé puisse « vendre » son diplôme sur le marché du travail,
il faut que ceux qui le détiennent soient peu nombreux. Le futur diplômé
a donc intérêt financièrement à ce que ses camarades de classe
échouent.
La dynamique de classe devient la loi de la jungle, loi du
plus fort dans laquelle il faut écraser l'autre. Nombreux sont les
étudiants d'écoles élitistes qui ont témoigné de cela. Je l'ai moi même
vécu et subi en tant qu'étudiante (surtout quand je préparais le
concours de professeur des écoles en Master Enseignement).
Raoul Vaneigem conclut ainsi que « mettre l'école sous le signe de la compétitivité, c'est inciter à la corruption, qui est la morale des affaires ».
La
compétition est antagoniste à l'art et à la véritable science. Il n'y a
pas de « performance » dans la création ni dans la découverte !
Le
diplôme implique un système d'évaluation, de notes. Les notes humilient
les élèves les plus en difficulté et les figent dans l'échec par une
étiquette de "mauvais élève".
"Donner des notes" sous tend une
pédagogie autoritaire. Seule une autorité hiérarchique a le pouvoir
d'émettre une notation, de porter un jugement sur un individu et de
choisir les critères de ce jugement.
Jean Piaget considère que le pouvoir suprême que détient le maître d'école entrave les capacités réflexives de l'enfant.
« Le
prestige qu'il possède aux yeux de l'enfant fait que celui-ci accepte
toutes faites les affirmations émanant du maître et que l'autorité le
dispense de réflexion ». (Piaget 1959 p 269 dans L'apprentissage
coopératif d'Alain Baudrit p 14)
De même Jean Houssaye dénonce ce rapport d'autorité éducative qui développe le sentiment de peur chez l'élève :
"Dès
lors le rapport d'autorité entre l'éducateur et l'éduqué ne peut être
qu'un rapport vertical, où le supérieur ordonne au nom de son âge et où
l'inférieur obéit sans contestation. un tel rapport d'autorité implique
des techniques éducatives basées sur la contrainte et la peur. La peur
est le moyen que l'éducation traditionnelle utilise pour faire respecter
les règles, les lois et les préséances vitales qui ordonnent toute la
vie sociale." p 9 Jean Houssaye La Pédagogie traditionnelle
Le
diplôme, les notes impliquent une pédagogie de l'ennui et de la
Répétition. Les diplômes attestent d'abord de la restitution des
connaissances.
Le bachotage, le par cœur, la répétition de
résolutions d'exercices mobilisant un processus intellectuel identique à
chaque fois sont la base de la pédagogie traditionnelle - pédagogie
très majoritairement pratiquée dans les classes.
Jean Houssaye montre que la pédagogie traditionnelle est celle des enseignants en France dans leur très grande majorité.
« A
l'issue de ce parcours, nous pouvons donc l'affirmer sans ambiguïté :
la pédagogie traditionnelle existe, la pédagogie traditionnelle est
contemporaine. Les spécialistes de l'éducation ne cessent d'en parler.
Dans les propos tenus, il faut d'abord retenir ceci : le changement dans
le système scolaire ne se fait pas. » Jean Houssaye La pédagogie
traditionnelle éditions Fabert p 74
Les innovations n'entrent quasiment pas à l'école.
« L'innovation
pédagogique, à l'échelle de l'institution, est un échec ; elle ne
produit pas d'effets positifs pour une raison majeure : elle n'est pas
mise en œuvre et l'immobilisme des acteurs est patent. Et pourtant le
cœur de l'école est touché, tant par rapport aux savoirs que par rapport
aux comportements. » Jean Houssaye La pédagogie traditionnelle éditions
Fabert p 74
Les pédagogues innovants comme
Celestin Freinet et Alexander Sutherland Neill, Maria Montessori étaient
opposés aux notes. Leur pédagogie basée sur l'expérimentation,
l'exploration et la découverte ne pouvaient pas être adaptée à un
système de notation et de délivrance de diplômes.
Ces
pédagogies qui respectent l'enfant Innovant sont ultra minoritaires en
France. Comme le dit Jean Houssaye c'est la routine qui domine.
"Individualisme
donc, routines ensuite. Durand (2001) souligne combien la préservation
des routines sécurisantes entre en jeu dans la permanence de la
pédagogie traditionnelle. Quels que soient les disciplines enseignées et
les enseignants concernés, les routines prédominent ; les constantes et
les régularités marquent la vie dans la classe." Jean Houssaye La
pédagogie traditionnelle éditions Fabert p 37
Les
diplômes, les examens de toutes sortes, les notes sont les outils pour
exclure définitivement une partie des enfants du monde de ceux qui
apprennent et qui savent.
Comment continuer à « aimer » apprendre
quand vous avez vécu l'exclusion et porté l'étiquette de celui ou celle
qui n'est pas intelligent.
Comme
la science est incarnée par l'école dans notre société, les exclus du
système scolaire fuient la découverte et la science pour se protéger.
Concernant
la créativité, « ces exclus scolaires » ne semblent être ni plus ni
moins créatifs que les autres. Certains ont été trop « cassés » pour
avoir pu garder un « élan créatif » en eux, d'autres ont réussi à
résister par l'art. Mais dans ce processus d'exclusion, on a appris à
tous les enfants à « accepter l'injustice » et les « inégalités ». Ainsi
qu'à se mentir pour accepter inacceptable.
L 'opération mentale qui consiste à se mentir contribue peut être aussi à la destruction des capacités
créatives.
Il
suffit de discuter 30 minutes avec n'importe quel jeune scolarisé pour
se rendre compte que les chiffres du Canard Enchaîné ne sont que la
partie émergée d'une situation bien plus grave.