mercredi 20 juin 2018

Nos yeux pour pleurer : plus d'ophtalmologue pour les patients du docteur Vahé au Havre

Par Julie Amadis
#IpEaVaEaFaF
Le 20/06/2018

"Vu le manque d'ophtalmologues au Havre, nous ne prenons que certaines personnes, sous condition, les diabétiques et les personnes de plus de 65 ans"
- Que faut-il que je fasse alors pour pouvoir voir un ophtalmologue ?
- Il faut sortir du Havre
- Où ?
- Sur Rouen
- Les gens du Havre ne peuvent plus avoir d’ophtalmologue au Havre, il faut qu'ils aillent à Rouen !- Oui, on a un très gros problème de manque d'ophtalmologues au Havre



J'ai appris ce matin en voulant prendre un rendez-vous chez le Docteur Vahé - mon ophtalmologue depuis 2002 - qu'il partait en retraite prochainement.
Jusque là pas de problème...
J'imaginais que dans une grande ville de 172 366 habitants (236 133 habitants si l'on compte l'agglomération), il y aurait forcément une solution de rechange.


Au secrétariat de Mr Vahé ce matin, j'ai posé quelques questions.

- Personne ne va remplacer Mr Vahé ?
- Non
- Et que va devenir le cabinet ?
- Je ne sais pas.
- Et vous alors, vous allez être au chômage
- On peut dire ça  comme ça

Je lui demande si le cabinet a prévu un ophtalmologiste à contacter, où une liste avec quelques noms d'ophtalmologues prêts à prendre les patients du Docteur Vahé.
Elle répond par la négative.

Rien de prévu pour nous, les patients du Docteur Vahé.
Je me rends donc au secrétariat de mon médecin traitant, pour savoir s'il est possible de m' orienter vers un ophtalmologue qui voudrait bien prendre de nouveaux patients.

La secrétaire m'explique que nous sommes très nombreux dans mon cas, et que les gens ne trouvent pas d'ophtalmologue au Havre. Elle précise même :
"Il y a même des gens qui vont jusqu'à Honfleur pour trouver un ophtalmologue"

Je n'en reviens pas. Il ne serait pas possible de se soigner les yeux ou d'avoir une prescription pour des lunettes dans une ville comme Le Havre !

Je précise alors à la secrétaire du médecin que je n'ai pas de voiture et donc que je ne peux pas me rendre dans des communes éloignées comme Honfleur.

Elle me dit alors :

"Vous pouvez essayez à la clinique des Ormeaux mais ils sont Roumains"
Clinique Des Ormeaux


Je réponds : "Je me fiche qu'ils soient Roumains. C'est très bien. Je vais aller là bas alors. Merci"


A la clinique des Ormeaux, au service ophtalmologie, on m'informe dès le départ.
"On ne prend plus personne"

Je demande alors ce qu'il faut que je fasse, sachant que je suis non motorisée et que je suis au chômage (donc ai  peu de moyen pour me déplacer) pour pouvoir consulter un médecin des yeux.

"Il n'y a aucune place de libre au Havre. Pour avoir un rendez-vous, vous devez sortir du Havre"


En fin d'après midi, après avoir essayé quand même de contacter des ophtalmologues du Havre, sans succès, j'appelle le service ophtalmologie de l’hôpital Jacques Monod.




Mon interlocutrice d'entrée de jeu me pose 2 questions :

Quel âge avez-vous ?et
Êtes-vous diabétique ?
Après avoir répondu, elle m'annonce :

"Désolé madame, nous ne pouvons pas vous donner de rendez-vous"

Interloquée, je demande des explications.

"Vu le manque d'ophtalmologues au Havre, nous ne prenons que certaines personnes, sous condition, les diabétiques et les personnes de plus de 65 ans"

- Que faut-il que je fasse alors pour pouvoir voir un ophtalmologue ?

- Il faut sortir du Havre

- Où ?

- Sur Rouen

- Les gens du Havre ne peuvent plus avoir d’ophtalmologue au Havre, il faut qu'ils aillent à Rouen !

- Oui, on a un très gros problème de manque d'ophtalmologues au Havre
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COMPLÉMENT


Saturés, les ophtalmos ont une vision d’avenir

Publié le 17/02/2014 à 13H52

Selon Marc Muraine, chef de service d’ophtalmologie au CHU de Rouen, « s’il n’y a pas assez de professionnels de la vue (ici, dans un cabinet libéral dans le centre-ville havrais), il y a prise en charge dès qu’un problème se présente chez les patients »
PN/ Christian Cariat
Les chiffres parus cette semaine appuient là où ça fait mal. La pénurie en ophtalmologie, une des spécialités médicales où elle se fait le plus durement sentir en France, est criante avec l’étude réalisée par Yssup Research (lire ci-dessous). En moyenne, il faut attendre 77 jours pour décrocher une consultation contre 186 jours (plus de cinq mois) en Seine-Maritime. Le département apparaît à la 4e place parmi le top 10 où le délai est le plus long (derrière la Loire, le Finistère et l’Isère)… « Le système est saturé et s’aggrave dans tout le nord de la France. Ces deux prochaines années s’annoncent catastrophiques. On compte 350 départs par an alors que l’activité a augmenté de 50 % en dix ans », s’alarme Jean-Bernard Rottier, président du SNOF (Syndicat national des ophtalmologistes de France). Au Havre, trois départs en retraite (prise en moyenne au-delà de 65 ans) sont annoncés dans l’année qui vient. Sans remplacement prévu. Avec 4 000 consultations annuelles par praticien, facile d’imaginer le nombre de personnes « laissées sur le carreau ». Dans la grande région havraise (en comptant Fécamp, Bolbec et Honfleur), 34 exerçaient fin 2012. Fin 2014, ils ne seront plus que 23. Jean-Bernard Rottier, très actif sur le plan national, s’insurge : « C’est un mouvement organisé en deux temps depuis des années côté politique et administratif. Dans les années 90, il y avait la certitude que les dépenses de santé seraient contenues en formant moins de médecins. Et dans les années 2000, il a été décidé que la chance pour le pays était le pari du paramédical. Je ne suis pas opposé, mais il faudrait une traduction opérationnelle sur le territoire. »
« C’est à nous de trouver »
Une des solutions prônée réside bien sûr dans l’augmentation des praticiens. Evident, mais pas si simple. « D’autant qu’il y a trois places réservées à l’ophtalmologie dans le département, suite à l’examen classant. Trois spécialistes sont donc prêts à exercer depuis 2009. Avant, ils n’étaient que deux… Ceux que nous diplômons s’installent à 94 % dans la région », explique Marc Muraine, chef du service d’ophtalmologie au CHU de Rouen. Le professeur reconnaît aussi qu’aucun interne issu de cette filière n’est venu au Havre… depuis une décennie « parce qu’après plus de 11 années d’études, vous avez déjà votre vie installée et logiquement, c’est donc à Rouen ou autour que vous restez. » Face à la pénurie doublée d’un désert médical, une solution a été trouvée il y a moins de cinq ans, « le recrutement » de médecins étrangers. Deux Roumains et deux Bulgares (pour trois équivalents temps plein) exercent à la clinique des Ormeaux. Ce qui ne comblera pas « l’insuffisance des moyens humains des prochaines années face aux pathologies du vieillissement qui ne font qu’augmenter, qui demandent l’intervention des seuls médecins », remarque le docteur Hubert Vahé, président de l’association des ophtalmologistes de la région du Havre. Selon ce praticien, qui fait appel à une infirmière pour certains actes délégués (et ainsi libérer des créneaux horaires) « c’est à nous de trouver des solutions. Les autorités nous laissent imaginer dans un monde où l’exercice de la profession a beaucoup changé. » L’avenir est pleinement dans le paramédical (lire en page 9) pour certains. Pour d’autres, les opticiens pourraient arriver en secours. Pour Marc Muraine, qui s’exprime sur le plan personnel, « il est bon que ceux qui consultent ne soient pas ceux qui vendent les lunettes. » En tout cas, pour Hubert Vahé, il y a urgence « avant que la pénurie pose de vrais problèmes de santé publique. »
Gros plan sur l’activité oculaire
5 500 ophtalmologistes exercent en France, soit 2,7% de l’ensemble des médecins. La densité de ces spécialistes est de 8,9 pour 100 000 habitants, inégalement répartie sur le territoire. En-dessous de 8 ophtalmos, des délais grimperaient en flèche. En 2010, 100 nouveaux d’entre eux ont été formés en France, ce qui reste inférieur aux autres pays européens. Trois à quatre nouveaux sont diplômés par million d’habitants contre moins de 2 en France. De 24 à 40 jours en moyenne : c’est le délai d’attente les plus courts qui concerne Paris, les Hauts-de-Seine (92), les Alpes-Maritimes (06), et les Bouches-du-Rhône (13), selon l’enquête réalisée par Yssup Research pour le groupe Point Vision (dont les centres proposent un rendez-vous «en moins de 48h par téléphone ou par internet»). 93% des Français s’inquiètent du non-remplacement d’un ophtalmologiste sur deux et 74% approuvent la généralisation des cabinets fondés sur la coopération entre ophtalmologistes et orthoptistes. C’est ce qui ressort du deuxième sondage mené par l’Ifop pour le Syndicat national (SNOF), en janvier 2013. 94% des sondés, selon la même enquête, leur font confiance pour prendre soin de leur vue. 43 millions d’actes oculaires devraient être effectués en 2025, contre 32 millions en 2010 et 1,5 en 1980. L’augmentation de ces soins va de pair avec le vieillisement de la population. Depuis vingt ans par exemple, le nombre de cataractes opérées a plus que doublé. Depuis l’arrivée de traitements efficaces, la DMLA occupe aussi beaucoup la profession, qui dû investir dans de coûteux plateaux techniques pour suivre les progrès médicaux et l’évolution technologique. 292 enfants (de la primaire au lycée) ont été détectés en 2013 pour des problèmes de vue (myopie, strasbisme, hypermétropie…) grâce à l’opération menée par la Codah (Communauté de l’agglomération havraise). Depuis 2000, Bonne Vue à l’école pour les 5-17 ans est menée en collaboration avec l’Education nationale et des infirmières/médecins référants et en lien avec des ophtalmologistes du territoire havrais. Si une consultation s’avère nécessaire, les parents sont invités à prendre rendez-vous chez un spécialiste. Dans ce cadre, le service Santé de la Codah s’engage à faciliter la prise de rendez-vous dans un délai rapide. 15% environ des enfants des maternelles de la Seine-Maritime consultés par les orthoptistes sont adressés à des opthtalmologistes. Rémunérés pour cette mission par le conseil général depuis 2003-2004, les premiers sont chargés de dépister les troubles de la vision chez les 3-4 ans. Avec une lettre du professionnel, les délais de rendez-vous sont là aussi rapides.

« La solution se trouve chez les orthoptistes »
« Mon métier, c’est la kiné des yeux », comme le grand public a pris l’habitude de définir cette profession d’orthoptiste. En cette après-midi de début de semaine, Julia Choet, 22 ans, est attendue également pour des examens de champ visuel chez une ophtalmologiste havraise, qui a investi dans un coûteux plateau technique. Diplômé depuis juin dernier, un cabinet ouvert depuis un mois, cette jeune pro souriante incarne l’avenir pour une profession saturée. Rien de moins. Une alternative salvatrice prônée par le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) face au problème des déserts médicaux.
« Si rien n’est prévu ou organisé, nous allons droit dans le mur. Parmi les pistes sérieuses se trouve la filière de cette activité du paramédical avec une délégation des tâches », reconnaît Jean-Bernard Rottier, président du SNOF.
Longtemps cantonnés dans un rôle de rééducation visuelle chez les enfants en particulier (avec le strabisme), les orthoptistes procèdent depuis 2007 aux divers examens de l’acuité visuelle. Ils ont la possibilité de mesurer la pression intraoculaire et la vision… Partant de ce constat, il a fallu former. Dans la région, les premiers diplômés de l’école spécialisée créée en association avec les CHU de Rouen et d’Amiens sont sortis il y a deux ans. « Ce personnel, encadré pendant trois ans par des professionnels et le staff hospitalier, va ainsi pouvoir aider les ophtalmos en place ou nommés. La prise de conscience de ce soutien précieux s’est faite progressivement », analyse Marc Muraine, professeur, chef du service d’ophtalmologie du CHU de Rouen. Le résultat est net : une telle délégation des tâches -sous le contrôle obligatoire du médecin prescripteur- permet de réduire les délais de rendez-vous. Deux modes de fonctionnement dominent cette (nouvelle) organisation. Soit le spécialiste salarie directement l’orthoptiste. Ce qui suppose une bonne force de frappe financière, plutôt dévolue au secteur 2. Soit les deux travaillent en binôme avec prise en charge de la Sécu. « Dans tous les cas, cette profession reste un parent pauvre de la filière paramédicale. Actuellement, il y a 3 600 orthoptistes en France et il en faudrait 3 000 supplémentaires pour que 90 % des ophtalmologistes puissent exercer avec au moins l’un d’eux », lâche Jean-Bernard Rottier, qui reconnaît que « l‘Assurance Maladie n’avait pas misé sur cette option. »
Selon Marc Muraine « c’est tout de même en train de se développer et des efforts sont réalisés. Dans le département, trois nouveaux arrivent sur le marché, les autres étant répartis entre Amiens et désormais Reims. »
Au-delà des moyens humains, c’est toute la conception médicale qui est à revoir. Pas évident que tous les spécialistes voient d’un bon œil cette répartition des tâches. D’autant que certaines missions jusque-là attribuées aux seuls ophtalmos (dépistage de la rétinopathie diabétique, délivrance pour les verres correcteurs pour les enfants de moins de 16 ans avec certains protocoles et contrôles…) sont réalisées par ces « nouveaux collaborateurs », toujours sous contrôle médical. Un médecin de la place havraise souligne que « si nous avons les moyens matériels et financiers, cela va libérer à court terme la charge de travail, recentrer sur les pathologies et les mentalités devront obligatoirement évoluer. »
Le casse-tête de la prise de rendez-vousIl y a quelques jours, Karine, la quarantaine, téléphone à un ophtalmo du centre-ville havrais… pour en changer face à un diagnostic flou, qui la perturbe. « La secrétaire m’a fait comprendre que cela n’était pas possible, qu’il fallait garder celui que j’avais. » Ce qui confirme les chiffres (1) parus cette semaine, selon lesquels 15 % des ophtalmologistes français ne seraient pas à même de recevoir un nouveau patient. Un praticien de la rue Maréchal-Joffre, qui ouvre son cabinet de 8h à 19h tous les jours, relativise : « Les rendez-vous sont pris jusqu’à six mois. Ensuite, les patients ont tendance à oublier. S’il s’agit de renouvellement de lunettes, nous ne faisons pas beaucoup d’efforts. Pour tous les cas d’urgences, nous faisons bien sûr le nécessaire. » Il s’agit des yeux rouges, collés, d’une baisse de l’acuité visuelle récente et brutale… Lundi dernier, après un coup pris à l’œil gauche pendant le week-end, Laurie-Anne, 22 ans, a appelé son spécialiste qui n’assurait pas de consultations. Elle a été transférée vers une consœur du même cabinet. « Je m’inquiétais, mon œil gonflait.  J’ai été examinée dans l’après-midi. L’urgence a été prise en compte. »
La même matinée de ce lundi, au cabinet du boulevard de Strasbourg, dans lequel deux médecins exercent, deux urgences annoncées. Enfin, peut-être pas tant que ça puisque le rendez-vous pris a été finalement décalé au… jeudi à la demande de la malade. « Chaque jour, il faut gérer ainsi en fonction des impératifs, des rendez-vous pris par la plate-forme téléphonique, les demandes qui arrivent directement ici, les consultations pré et post opératoires… », raconte Sylvie, la secrétaire de ce cabinet, sollicité à hauteur de 300 rendez-vous environ par jour pour chaque praticien. Plus aucun rendez-vous n’est pris directement, mais par une société qui gère depuis Sanvic tous les rendez-vous d’une quarantaine de médecins. « Ce qui n’empêche pas certains de venir directement ici », souffle Sylvie, d’un calme imperturbable, qui ne se laisse pas démonter par les menaces et les cris parfois proférés devant elle pour obtenir un rendez-vous.
 À côté d’elle, un cahier dans lequel est notée pour tous les mois jusqu’en juillet une cinquantaine de noms : « Une liste d’attente s’il y a des déplacements et des désistements, mais rien n’est garanti. Je comprends leur situation et il faut se mettre à leur place, mais nous faisons tout notre possible. » Comme partout, les sans-gêne et impolis font le forcing, rendant le personnel responsable de cette situation. Il y a les petits malins aussi qui affirment qu’ils vont téléphoner en direct à l’ophtalmo parce qu’ils le (la) connaissent bien… avant de demander son numéro de portable. Dès qu’il met un pied dehors, au supermarché, au cinéma, chez le boulanger ou à la plage, le spécialiste havrais est sûr de tomber sur quelqu’un de son fichier… qui va lui demander à quelle date il peut venir. Cette ophtalmo se souvient d’une phase de burnout qui l’a contrainte à appeler le Samu. « J’étais sur le brancard dans le couloir et une patiente me demandait ce qu’elle faisait avec son ordonnance et… comment faire avec ses lunettes !…», raconte-t-elle aujourd’hui avec le sourire. Tous travaillent avec des jours dédiés à des publics et des spécialités (mercredi, jour des enfants, un autre consacré aux cataractes ou à la chirurgie réfractive…). Avec des plages horaires pour les urgences et les imprévus. Et cette peur et angoisse permanentes de rater un cas grave…
L’enquête de Yssup Research a été menée du 15 octobre 2013 au 30 janvier 2014 auprès de 2 643 ophtalmologistes.


Patricia Lionnet





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